samedi 7 février 2015

La foi, dans les creux et sur la crête


 En découvrant le monde des catholiques, l’espace ouvert est grand, pour le cœur bien entendu. Mais également l’œil de l’esprit trouve un trésor inépuisable. Réflexions d’hommes inspirés, biographies, Histoire, tous ces savoirs se laissent prendre.

Notre cœur, creusé déjà par l’amour du Très Haut, s’élargit devant tant d’abondance. Ces dons, offerts siècle après siècle, peuvent rendre euphorique. L’avidité n’est pas loin. Et voilà que nous nous agitons.


Nous voudrions tout saisir, comme le petit enfant au supermarché, qui, assis dans un caddy que l’on pousse, voit défiler les rayonnages. Son esprit est-il disponible, dans la frénésie de s’emparer d’objets si nombreux ? Ouvrons les mains. Puis gardons-les ouvertes, l’œil mobile et tranquille. Pour nous prémunir de la glissade d’une consommation distraite, lisons lentement les textes où s’engagent nos pas. C’est d’ailleurs ce que les moines bénédictins de l’abbaye de Kergonan recommandent (il y avait un reportage sur youtube, que malheureusement je n’ai pas retrouvé).

Mon amour vers Dieu n’a pas suivi les vagues d’un tempérament cyclothymique. Depuis un an ou deux peut-être, la foi m’a accompagnée, chemin faisant, indépendamment des cycles emboités de mes humeurs - vagues dans les vagues d’une constante alternance d’expansion d’amour et de repli. Le Seigneur se tient présent, tout tranquille, aussi aisément dans les moments de creux que sur la crête de la joie. Il est là, à son aise dans un cœur vaste et dans un cœur étroit, dans un cœur joyeux et dans un cœur plié de chagrins.

En revanche, mon goût de Le connaître s’est solidarisé à cette cadence intérieure.

Inspiration. Eté indien. Le mental, qui ne manquait de rien, croit urgent de recevoir de l’oxygène. Il se nourrit, s’agrandit, reçoit beaucoup. L’énergie est débordante, l’esprit se dilate et éclate de joie. Dans son expansion, il veut donner beaucoup. La créativité (stérile parfois) dans un gai désordre. Plénitude agitée.
Rétention d’air. Accalmie, moment incertain.
Expiration. Printemps glacé. Le mental se replie, veut rentrer en lui-même, éloigner tout ce qui vient vers lui, mettre à distance toute connaissance, écarter l’abondance du monde; il somnole. Parfois, c’est tout d’abord, une peur pleine de tristesse : la panique, par exemple, devant tous ces savoirs qui s’ouvrent et envahissent. C’est trop. La méfiance, par exemple, envers les manières de voir du monde catholique, si éloignées de l’ordinaire. Les lectures sont plus rares, plus molles. La présence à la messe est distraite ; plus sensible aussi, à fleur de larmes, surtout au moment où le sacrifice de l’Agneau de Dieu est commémoré. Mais par la suite, un espace se fait dans cette pauvreté du mental, plus féconde qu’elle n’a l’air, tranquille et vide. On continue à expirer, on retourne vers l’extérieur ce que l’on a reçu. Arrivé au bout de souffle, un sentiment d’asphyxie. Je happe une bouffée d’oxygène : recherche de témoignages, de livres, c’est à nouveau l’inspiration de Le découvrir, de tout découvrir, d’explorer les chemins, de changer dix fois de piste.

L'Eglise catholique, nous expliquait un prêtre dernièrement, encourage une multitude de lectures de la Bible, pourvu qu’elles se situent dans le cadre interprétatif autorisé par elle. Possibilité d’expansion dans un monde fini et contenu : cette conception de la liberté limitée des chrétiens me fait penser à un état un peu hypomaniaque (elle fait penser aussi, aux tactiques de lecteurs analysées par l’historien et prêtre jésuite Michel de Certeau - mais je voudrais ouvrir un billet, un autre jour, sur sa pensée). 

Notre personnalité donne rythme et couleurs à l’expérience de foi que chacun nous traversons. 
Sainte Thérèse d’Avila, mystique espagnole aux écrits ardents du XVIème siècle, a été, a posteriori, diagnostiquée comme malade d’hystérie et/ou d’épilepsie. Qualification clinique de la sensibilité de Thérèse qui peut être juste (ou ne pas l’être) du point de vue de la discipline des psychanalystes, et se place sur un plan différent de ce qui amène l’Eglise et les croyants à appeler Thérèse sainte. Pourtant, à l’époque du positivisme (XIXème siècle) cette qualification clinique a pu être employée dans le cadre d’une stratégie de disqualification à l'encontre de l’Eglise catholique, qui canonisa Thérèse. 
Le plan de la maladie mentale barre-t-il le plan spirituel ? En tant que croyante, je ne crois pas ! Si Dieu est, il est incertain qu’Il s’arrête aux maladies mentales, qui certes peuvent bien barrer le réel, l’accès lucide à soi et aux autres. Dieu n’a-t-il pas plutôt fait Sa voie dans les failles singulières de Thérèse ? 
Avec Dieu, on n’est pas seul avec sa subjectivité ou son inconscient. Bien sûr, il faut croire en Lui pour envisager les choses sous cet angle. Dans cette hypothèse, la rencontre se passe dans nos têtes (si nous ne sommes pas délirants ou mystiques), mais notre subjectivité n’est pas pliée sur elle-même, elle n'est pas monologue. Il y a le Tout Autre, l’Esprit Saint. 
Par ailleurs, entre Lui et « moi », il peut y avoir, comme agents de liaison, facilitateurs, ambassadeurs, informateurs, tous les Hommes (femmes, hommes) dont nous avons entendu la parole. Nous avons intériorisé leurs enseignements, et cela nous aide à accéder au sentiment, très subtil pour la plupart d’entre nous, de Sa présence absente. Peut-être est-ce grâce à l’hystérie de Thérèse qu’Il s’est fait si présent pour elle, dans un manifesté exubérant. 
Oui, j’ai bien du mal à croire que Dieu s’arrête aux frontières de la maladie mentale. Le sujet n'est pas seul dans sa foi. C’est une vraie expérience relationnelle, il y a une altérité, celle de celui qui est. 
Un schizophrène, Dieu n’est-il pas, malgré tout et mystérieusement, avec lui ? Dans les mouvements fragmentés de sa personnalité coupée du monde, Dieu n’est-il pas avec lui ? L'expérience de Dieu que fait l'homme habité de schizophrénie, il n’est pas donné à tout le monde de la comprendre. De même pour un autiste, ou encore un déficient intellectuel profond. Vécus incommunicables, peut-être - là où il y a eu, chez Thérèse, le charisme de montrer et de dire. 
Mais oui, Dieu peut transformer tout en grâce, il fait toute sa place dans toutes nos failles. Y compris celles de notre for intérieur qui peuvent, par ailleurs, recevoir des qualifications psychologiques.


Que Dieu nous permette de nous laisser cueillir et accueillir,
Qu’Il nous rende accueillants et lucides devant l’altérité radicale de l’expérience de foi de notre prochain. Qu’Il nous aide à accompagner nos frères et sœurs dans la singularité de leur for intérieur, où ils reçoivent Son amour et Sa subtile présence. Que l’Esprit nous donne l’intelligence de mieux Le connaître en rassemblant tous ces fragments, témoignages tracés par lui grâce aux sillons bizarres de nos psychismes.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire