"Il n'y a pas d'amour sans exigence".
Ces paroles prononcées par un
prêtre au cours d'une conversation ont jeté un trouble dans ma conscience.
Nous parlions de Kiwi, un ami cher. Il est parti séjourner dans une communauté chrétienne laïque (1) dont le
mode de fonctionnement m’inquiète. Les lieux semblent étrangement enveloppants,
par ailleurs le climat de méfiance à l’égard du monde extérieur me parait
suspect. Ce prêtre minimisait mes inquiétudes, m’assurait que ce n’est pas une
secte. Il est vrai, ajouta-t-il, que le quotidien de vie là-bas est rude et
exigeant. Mais il n’y a pas d’amour sans exigence, conclut-il.
Aussitôt, j’ai ramené cette
remarque vers ma propre personne, et j’ai senti le dard du malaise. Quelles sont
les exigences que je porte à mon égard ? Mon quotidien ne manque-t-il pas
de dureté et de discipline ?
J’ai vécu des temps où l’exigence
accompagnait une sécheresse d’amour. Exigence de faire, de travailler, que
d’autres manifestaient à mon endroit en se tenant aveugles aux souffrances, aux
angoisses et à la culpabilité qu’engendrait la rudesse du devoir. Exigences de
professeurs quant au travail. Exigences de mes parents quant à l’attention que
je devais leur porter, au temps qu’il était nécessaire de leur consacrer, à la
patience dont je devais faire preuve à leur égard. Expérience des exigences
d’autrui vers moi qu’une absence d’amour rendait anxiogènes.
Exigences que j’ai portées à mon
propre égard, qui m’enfermaient dans la peur. Ce repli anxieux, ce souci de la
performance ne laissaient guère de place à l’attention tranquille envers
autrui. Exigences que nous portons sur nous-mêmes qui font de nous des enfants
de l’individualisme, enfants de ce monde, dans un repli fermé à l’amour, à
l’abandon.
Expérience d’avoir diminué mes
« exigences » dans le cadre des relations avec mes propres étudiants,
lorsque, enseignante débutante, je me suis rendue compte que je m’étais
trompée : je croyais les porter vers le meilleur d’eux-mêmes, mais en vrai
je demandais plus qu’ils ne pouvaient raisonnablement accomplir.
Exigence : « ce que quelqu’un réclame », « ce qui est commandé », selon le
dictionnaire Larousse en ligne. L’exigence est une relation. Cette relation est
verticale. Un objet se tient entre les deux sujets de la relation, et le regard
porté sur cet objet est bien souvent très tranché. Le sujet A exige x (objet)
de la part de la part du sujet B. Mon « surmoi » exige ceci et cela à
mon « moi ». Un jugement est porté sur l’accomplissement ou le
non-accomplissement de l’exigence. De l’exigence à la domination, le chemin est
peut-être court.
Il est vrai qu’en ce monde, aimer
entraîne un élan de croissance.
Aimer autrui, lui souhaiter du bien, nous fait désirer profondément
qu’il porte du fruit, qu’il donne le meilleur de lui-même. En fonction de la
place que l’on occupe à son côté, notre rôle d’amour peut justifier de nous entêter fermement à vouloir qu’il fasse mieux, beaucoup
mieux parfois. Pensons au rôle du parent, de l’éducateur, du juge de
l’application des peines. Pensons au couple amoureux. A l’amitié forte.
Aimer le monde, c’est respecter nos devoirs envers lui et nous
donner plus de devoirs encore. Aimer dans ce monde, c’est sortir de soi,
demander au Seigneur de nous délivrer de tout égoïsme ; suivre des lignes de
conduite parfois pénibles, qui permettent de rendre les autres et nous-mêmes
véritablement plus heureux.
Aimer notre propre petite personne, comme le
Christ nous l’a commandé, c’est respecter les exigences de notre corps, les exigences de la vie. L’amour de soi, porteur de vie, entraîne une part de discipline.
Je comprends l’idée, mais je
n’aime pas le mot d’exigence.
La voie de ma foi est dans la
douceur. Pour ma part, il n’y a pas d’amour sans joie de faire des cadeaux.
Tout ce que nous faisons comme un don nous porte dans l’énergie. Offrir est un
tapis volant. Je veux faire cadeau au Seigneur de mes petits efforts pour faire
toujours un peu mieux. Dans un quotidien habité par le cœur, je veux faire don
à autrui et à moi-même de toutes les petites choses qui tendent vers un petit peu
plus de vertu. Don de mon travail, don de ce que j’offre pour améliorer ce qui
doit l’être, don de la constance de mes engagements. L’amour peut faire
accomplir beaucoup, dans une grande joie.
Chacun pourra chercher, dans un
dictionnaire de synonymes, le mot qui plaira à son cœur pour signifier l’exigence comme appel à
grandir en sainteté. Pour ma part, je me propose de remplacer toutes les
« exigences » de ma vie par : la joie du devoir, l’appel,
le cri, la résolution, la soif, la conscience du réel, la vigueur, et de prier le Saint Esprit de
me porter dans un équilibre juste.
Initialement, je voulais associer
à cette note quelques mots sur « porter sa croix ». Mais le billet
est assez long : que mes exigences pour le lecteur et pour moi trouvent
une juste limite !
Qu’est-ce que « porter sa
croix » dans la foi : voilà ce à quoi je veux proposer la prochaine
fois que j’écrirai ici.
Que le Seigneur accompagne dans
la joie chacun de nos devoirs, à commencer par les plus simples, et chacun de nos engagements petits et grands.
Manilla.
(1) Cela signifie que la communauté n'appartient pas au clergé, n'en fait pas partie. L'Eglise n'a aucune autorité sur ce qu'il se passe dans ces lieux. Comme les pouvoirs publics n'ont rien à voir non plus dans l'affaire, c'est bien ce qui m'inquiète!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire